Je viens vous parler d’une de mes dernières lectures. Je m’étais lancée sans savoir, parce j’ai entendu parler de ce livre à la radio, qu’il paraissait bien et pile dans les savoir faire du WORKLAB. On peut voir ça comme du conformisme ou de la curiosité :
Pour moi le choix est fait !
Ce livre s’appelle donc Supercollectif, écrit par Émile Servan-Schreiber, édité fin 2018 chez Fayard et achetable chez votre libraire indépendant préféré pour la modique somme de 18 euros…et oui !
Ce qu’il raconte ? J’y viens.
Sans surprise étant donné l’ADN du WORKLAB, il parle d’intelligence collective :
Je n’utilise pas seulement tout mon cerveau, mais tous ceux que je peux emprunter de Woodrow Wilson, 28èmeprésident des Etats-Unis d’Amérique.
Pas mal, hein ?
Allez encore un chouïa de patience avant que je ne vous restitue ce que j’ai lu…
Avant ça je vous présente très rapidement l’auteur. Le monsieur est assez impressionnant : docteur en psychologie cognitive doué de la bosse des maths issu d’une université plutôt classe, travaillant pour des supers poids lourds du monde économique et politique, descendant d’une dynastie d’érudits, précurseurs, influenceurs et businessmen.
C’est très vite dit mais ça pose déjà le décor. C’est important car le livre est si densément intéressant que je ne peux que vous le restituer en petites bouchées. J’espère surtout vous convaincre d’aller le lire directement pour ne pas en perdre une miette.
La première partie de l’ouvrage Supercollectif éclaire les fondements de l’intelligence collective : ses principes, ses démonstrations, son mode de fonctionnement, ses bénéfices.
Puis l’auteur en arrive à son sujet précis : l’intelligence collective portée à très grande échelle de centaines voire de milliers de personnes grâce au numérique et à la méthode des marchés prédictifs. Le tout est délicieusement truffé d’exemples et d’anecdotes.
Nous allons ici nous concentrer sur la première partie qui nous explique avec beaucoup de pédagogie l’Intelligence collective avec un grand I.
D’entrée de livre, le ton est donné. Émile Servan-Schreiber compare l’intelligence collective à une termitière ou comment des termites, pas spécialement réputées pour leurs QI, ont pu reproduire la Sagrada Familia de Gaudi.
A ce stade, il résume tout ce qu’il nous apprendra ensuite sur l’intelligence collective en deux principes et on pourrait s’arrêter là :
Cette question d’organisation est celle qui va nous intéresser à titre principal. En effet, il faut de la volonté pour structurer un groupe qui n’est pas naturellement intelligent, comme nous le rappelle l’auteur.
Commencer le propos par la Sagrada Familia version termite est digne d’une accroche des plus beaux pitchs de startupeur parce qu’elle vient heurter notre culte du génie individuel. Exactement comme je vous ai présenté plus haut ce cher Émile, la tendance est au culte des génies, hommes providentiels ou autres stars. Pourtant, l’homme n’étant pas à un paradoxe près, nous voyons dans l’intelligence individuelle des qualités relevant davantage d’un rôle social. Ce constat est issu d’une étude de David Buss révélant que les personnes interrogées définissaient l’intelligence par des attributs loin de la définition scientifique et théorique. Parmi les six qualités plébiscitées se trouvaient :
Émile, quant à lui, définit l’intelligence par la phrase de Jean Piaget, pionnier de l’étude du développement mental des enfants :
l’intelligence « ce n’est pas ce que l’on sait, c’est ce que l’on fait quand on ne sait pas
La valeur scientifique se reconnait aux chiffres qui étayent un propos. Et il a fallu attendre 100 ans après la mesure du QI d’un individu pour mesurer celui d’un groupe. Ce sont Anita Woolley (Carnegie Mellon) et Tom Malone (MIT Center for Collective Intelligence) qui s’y collèrent. Ils ont démontré que l’intelligence collective est une capacité générale et stable qui se mesure et permet de prédire le taux de succès d’un groupe. Oui mais, il ne suffit pas d’additionner les QI des membres du groupe. Cela aurait été trop facile. Non, l’intelligence collective dépend d’autre chose. Elle dépend de l’intelligence émotionnelle des membres.
La quoi ? La capacité d’écoute et le respect des contributions des autres. Appliqué aux groupes, cela représente deux facteurs :
Attention scoop !
Scoop scientifique, c’est Émile Servan-Schreiber himself qui le dit : ce sont des qualités qui sont plus fréquemment présentes chez les femmes que chez les hommes (peut-être le savez vous mais je suis une femme, je dis ça je dis rien…)
De fait, les groupes les plus intelligents sont plus souvent composés de femmes. Je n’irai pas plus loin sur ce sujet, c’est déjà du lourd de parler d’intelligence collective, je n’en rajoute pas.
Si tout le monde pense la même chose c’est que quelqu’un ne pense pas, du Général George Patton.
Nous devons cette expression au journaliste américain James Surowiecki qui a publié un papier sur le sujet en ressortant des oubliettes une étude de Francis Galton. Il a étudié une foule lors d’un concours pour l’estimation du poids d’un bœuf. Vous retrouverez la démonstration brillamment résumée par Sacha dans la vidéo de notre media.
Cette sagesse des foules est régie par trois principes :
Ce mécanisme fait ses preuves dans différents cas de figure :
Premier pallier et assez simplement, la sagesse des foules peut sans encombre être invoquée pour trouver la réponse à une question même quand personne ne la connait. La lecture de Supercollectif vous offrira une démonstration mathématique simple à comprendre et implacable grâce à l’exemple du jeu Qui veut gagner des millions ?
Deuxième pallier, la sagesse des foules est utile pour effectuer une estimation, comme démontré à son insu par Francis Galton.
Troisième pallier, la sagesse des foules est très opérante pour formuler des prévisions. En effet, Émile nous affirme que la prévision est le domaine de prédilection de l’intelligence collective.
La leçon à tirer de la théorie de la sagesse des foules n’est autre que le théorème de la diversité. La performance individuelle et la divergence des opinions influent autant sans prédominance sur la qualité de l’intelligence collective, comme la masse et l’énergie dans l’équation d’Einstein. Notez le parallèle de matheux, sacré Émile.
En l’absence d’expert, on peut utilement faire appel à un groupe de personnes non qualifiées sans perdre de qualité.
Alors, vaut-il mieux solliciter un expert ou un groupe non qualifié ?
Les deux mon capitaine !
On ne se répète jamais trop : la condition sine qua nonde l’intelligence collective est son organisation et sa communication, autrement dit la qualité de son réseau. Sinon, gare à la pensée unique !
Petite précision qui a son importance : on nous parle bien dans l’ouvrage d’un groupe au sein duquel les individus cherchent à se différencier pour « gagner », contrairement à une foule qui se regroupe dans l’optique assumée d’unir leur pensée et leur action. Le piège potentiel est celui d’une foule où un individu incite les autres à penser comme lui. Plus les autres individus seront convaincus moins il y aura de diversité et donc plus on risque de tomber dans un cas de pensée unique. L’histoire nous l’a démontré à plusieurs dramatiques reprises…
Concrètement, la qualité du réseau est garantie lorsque celui-ci assure l’indépendance d’esprit et le respect des opinions de chacun. En effet, penser différemment voire être en désaccord ne signifie pas que l’on peut mettre de côté les qualités essentielles d’écoute et d’empathie que nous mentionnions précédemment.
Mis bout à bout, nous avons reconstitué la recette de l’intelligence collective en 4 ingrédients selon James Surowiecki :
Intéressant n’est-ce pas ? Et encore, tout cela n’est qu’un amuse-bouche…
Culinairement vôtre.