Dans la pratique de la facilitation, il est coutume de dire que la réussite d’un temps collaboratif repose majoritairement sur sa bonne préparation.
Il est, d’après-moi, assez réaliste de parler d’un ratio de 80-20 : 80% pour la préparation et 20% pour l’animation. Mais qu’est-ce qui distingue une bonne préparation d’une mauvaise ? Je vous épargne la référence aux Inconnus et vous propose plutôt de plonger directement dans un cas concret, un retour d’expérience qui servira de prétexte pour décrypter les bonnes pratiques et postures à adopter lors de cette phase si cruciale.
Pour des raisons de confidentialité, le client avec lequel j’ai travaillé conservera son anonymat et portera ici le nom de AGI Secure. AGI Secure est une organisation de plusieurs milliers de collaborateurs évoluant sur le marché de l’assurance depuis des dizaines d’années.
Dans le cadre d’un projet de transformation d’envergure, AGI Secure cherche à faire évoluer ses process afin d’améliorer la qualité de ses services et ainsi proposer une meilleure expérience client. Un domaine d’activité bien spécifique est alors identifié : le traitement des réclamations. Jugé trop long, pas assez fluide et trop complexe, le process actuel doit être transformé en profondeur pour permettre le traitement en un seul temps des demandes. Autrement dit : le collaborateur qui reçoit la réclamation doit être en mesure d’apporter une réponse sans avoir à passer le dossier à un autre service, il doit pouvoir agir sur la demande du premier coup.
Cette ambition est énoncée dès le début de nos échanges et AGI Secure décide de nous solliciter pour une raison très claire : faire appel à l’intelligence collective pour apporter une réponse qui vienne directement du terrain, qu’elle soit la plus opérationnelle et réaliste possible.
Nous avons donc notre point de départ, la phase de préparation peut débuter.
Pour une préparation d’atelier la plus complète possible, nous avons pour habitude de distinguer trois passages obligés : un temps de cadrage, un temps de co-construction du déroulé de l’atelier et, enfin, un temps de finalisation et d’ajustements.
Ces trois temps se retrouvent d’ailleurs dans un outil que nous avons conçu spécifiquement pour accompagner les facilitateurs dans la création de leurs ateliers, de la première prise de brief jusqu’au déroulé détaillé à la minute. Pensé comme un canevas de travail collaboratif, il peut s’utiliser en présentiel (poster grand format) comme à distance (PDF sur tableau blanc).
C’est justement autour de cet outil, le TOPO, que j’ai organisé mes temps de préparation avec l’équipe projet.
Il réunit l’équipe projet et le facilitateur WORKLAB, il peut durer de 2 à 4 heures selon le projet et doit se concentrer sur deux objectifs : créer la confiance et maîtriser le contexte. Notre meilleure arme ? Le questionnement. Poser des questions, encore et toujours, parfois plusieurs fois la même, des questions bêtes, bien souvent naïves, mais aussi des questions puissantes pour aller chercher le fond des réflexions.
Il y a donc les questions évidentes : pourquoi ce projet ? Qu’est-ce qui a déjà été fait sur le sujet ? Pourquoi maintenant ? Qui est le sponsor ?
Viennent ensuite les questions plus précises : quels sont les critères de réussite de l’atelier ? Quels doivent en être les livrables ? Que se passe-t-il après ? Qui doit être impliqué dans la préparation ?
Enfin, arrivent les questions périphériques, celles qui permettront de viser juste dans la construction du déroulé : quels sont les éléments entrants à donner aux participants ? Qui sont ces participants ? Pourquoi eux ? Que savent-ils ? Y a-t-il des passages obligés durant l’atelier (discours sponsor, intervention d’expert …) ? Quelles formes doivent prendre les livrables pour être exploitables ensuite ? Combien de temps peut durer l’atelier ? Ou se passera-t-il ? Quelle expérience ont les participants sur le sujet de l’intelligence collective ? Risque-t-il d’y avoir des liens hiérarchiques dans les équipes ?
Vous pouvez retrouver l’intégralité des questions essentielles directement sur le TOPO afin de ne pas en oublier durant la session.
N’étant pas dans l’organisation, ces différents niveaux de questions me permettent donc d’assurer un bon niveau de connaissance du contexte. Mais la démarche de questionnement apporte aussi avec elle une autre forme de bénéfice : elle contribue à instaurer la confiance entre nous. Le dialogue s’installe, l’équipe projet comprend que je m’intéresse réellement à leur problématique et la suite logique du questionnement m’installe comme un partenaire sérieux garant d’une méthode solide.
Une fois ce premier cadrage effectué, arrive la phase de conception du déroulé de l’atelier.
Mais attention à ne pas foncer tête baissée dans un déroulé minuté trop figé, c’est bien souvent l’erreur que font les facilitateurs débutants : définir un agenda trop détaillé et choisir les outils avant même d’avoir confronté les premières intentions à l’équipe projet.
N’oublions pas que la démarche d’intelligence collective ne se limite pas à l’atelier avec les participants ; elle doit impérativement se retrouver dès les premiers temps de préparation. Il est donc crucial de penser ce temps de conception comme un véritable atelier collaboratif lui-même.
Dans le cas du projet avec AGI Secure, j’ai donc opté pour un temps de co-construction permettant à l’équipe projet de vivre elle-même ce que seraient amenés à vivre les participants. Cette mise en abîme se base sur l’élément qui me semble le plus risqué sur le moment : le fait d’utiliser des outils de travail à distance (visio + tableau blanc). Peu habitués à utiliser Klaxoon, ou même à vivre des réunions de travail collaboratif fluides et productives, cette seconde rencontre avec les clients a donc pour objectif secondaire d’anticiper les comportements des participants durant l’atelier.
J’ai donc préparé en amont un board Klaxoon qui reprenait les différents éléments abordés en phase de cadrage pour m’assurer qu’ils n’avaient pas évolués, dans lequel j’ai ajouté une première esquisse de déroulé. J’ai pour habitude de la qualifier de pièce à casser. Pourquoi cela ? Tout simplement parce que mon intention n’est surtout pas de faire valider quoi que ce soit, mais bien au contraire de venir critiquer, challenger, transformer, améliorer cette première piste. S’il y a bien une chose à retenir de cette phase de conception, c’est qu’un bon facilitateur va toujours aller chercher la critique et ne va jamais imposer sa vision de l’atelier. Être facilitateur, c’est se mettre au service du groupe pour, ensemble, construire les meilleures réponses possibles. La phase de cadrage ne déroge pas à cette règle.
Concrètement, j’ai donc choisi de présenter le déroulé sous forme de grandes phases de travail définies par des intentions. Je décide volontairement de ne pas parler d’outil ni de logistique, mais plutôt de me concentrer sur le séquençage de l’atelier : un premier temps d’introduction pour assoir le contexte et valoriser la présence de chacun, suivi d’une phase d’analyse de l’existant et de découverte de la cible à atteindre pour mettre tout le monde au même niveau, puis un temps de génération d’idées pour trouver comment atteindre cette cible et, enfin, un temps de concrétisation pour détailler les idées et les rendre les plus opérationnelles possibles.
Ce séquençage, je ne me contente pas de le présenter. Comme tout temps collaboratif à distance, si je veux obtenir des réactions alors je me dois de créer l’espace pour. J’ai donc pour habitude de donner un temps de réflexion individuel à chacun, durant lequel je leur demande de passer toutes les séquences en revue et de se poser une question : qu’est-ce qui, ici, pourrait mal se passer ? Qu’est-ce qui ne fonctionne pas assez bien ?
Notez que je ne demande pas de me dire si oui ou non quelque chose pourrait ne pas fonctionner, mais plutôt de trouver ce qui est à améliorer. Je vais chercher la critique pour m’assurer de la trouver, pour aller chercher l’amélioration plutôt qu’obtenir la validation.
La remise en question du séquençage et des grandes intentions constitue donc l’objet central de nos discussions durant cette phase de co-construction. Il ne faut jamais oublier que, quelle que soit notre connaissance du contexte et du sujet, c’est le client qui a un enjeu fort derrière le projet. Il est donc primordial de l’impliquer au maximum dans la réflexion en lui donnant une posture de contributeur actif plutôt que de valideur passif.
Pour débuter, je recommande fortement d’utiliser le TOPO comme support pérenne de discussion : la partie gauche sur le cadrage de la 1ère réunion reste visible en permanence tandis que l’équipe projet et le facilitateur se concentrent sur la droite, notamment la colonne Séquence.
Enfin, arrive la troisième et dernière étape avant l’atelier lui-même : la phase de finalisation et d’ajustements. Cette dernière étape arrive généralement une à deux semaines avant l’atelier et se concentre autour du déroulé détaillé. C’est l’occasion d’aborder plus en détail le contenu des livrables attendus, les éléments de langage utilisés sur les outils, les aspects logistiques (déjeuner le midi, café d’accueil, temps de pause, accès à la salle, matériel disponible…) et de caler les interventions extérieures s’il y en a (discours d’introduction du sponsor, public pour la restitution, intervention ponctuelle d’une expertise spécifique…). D’un point de vue TOPO, cette étape correspond aux colonnes Pratique, Mise en œuvre, Espace et Logistique, qui ne sont donc à compléter qu’en fin de préparation.
Cette étape pourrait être vue comme la répétition finale avant la première d’une pièce de théâtre : on se projette le plus possible dans l’atelier pour y faire les derniers ajustements.
Si vous avez suivi jusque-là, une question pourrait rester : mais alors, quand est-ce que tu as validé les outils (ou méthodes d’animation) avec l’équipe projet ? Et bien je vais volontairement terminer ce premier article sur ça : possiblement jamais. Cela peut paraitre étrange, mais j’ai souvent tendance à présenter les outils au dernier moment et, quand cela arrive, ce n’est pas pour les faire valider mais plutôt pour m’assurer qu’ils soient compréhensibles. Si le client maitrise le fond du sujet et le contexte, il ne faut pas oublier que notre métier de facilitateur consiste aussi à choisir les bons outils (ou bonnes méthodes) pour tirer le meilleur de l’intelligence collective. Partant du principe que c’est pour cette expertise qu’AGI Secure a sollicité le WORKLAB et que les phases de cadrage et de co-conception ont été bien réalisées, je préfère ne pas noyer le client de détails sur lesquels il n’a pas nécessairement d’expérience ou d’expertise. Si les intentions (les grandes séquences) ont été bien définies avec lui, alors je devrais être en mesure de trouver la meilleure activité à proposer. Le meilleur outil, le canevas le plus pertinent, la méthode la plus adaptée.
Ce point marque la fin du premier article et je vous propose de plonger dans le déroulé et son animation dans un deuxième article. Parce que là encore, il y a beaucoup de choses à raconter !